Psycho

Avez-vous un favori ?

« 95 % des parents ont un enfant chouchou, les 5 % restants sont des menteurs », écrivait le journaliste et auteur américain, Jeffrey Kluger dans son dernier livre, The Sibling Effect, publié il y a deux ans.

Selon un nouveau sondage britannique, 62 % de parents affirment avoir un penchant pour l’un de leurs enfants. L’enquête anonyme a été réalisée auprès de 1237 parents ayant au moins deux enfants de 3 ans et plus. Une autre étude anglaise, réalisée en 2009 auprès de 14 000 parents, tirait des conclusions similaires. 

« Il est plus commun d’aimer davantage l’un de ses enfants, que de les aimer également », soutient la professeure au département de psychologie de l’Université de Montréal, Catherine Ruth Solomon Scherzer, spécialisée en développement de l’enfant. Sans aucune hésitation, elle donne raison aux propos de Jeffrey Kluger.

« C’est que les enfants sont des individus, différents les uns des autres. Quand on y pense de façon rationnelle, c’est presque normal que les parents aiment un enfant plus qu’un autre », ajoute-t-elle.

Tabou

Mais le sujet est tellement tabou, que rares sont les parents qui oseront en parler ou même reconnaître un tel sentiment. « Si on demande aux parents s’ils ont un penchant pour l’un de leurs enfants, ils répondront que non, qu’ils les aiment de façon égale. Car culturellement, les parents sont censés aimer inconditionnellement leurs enfants de manière égale. Mais c’est loin d’être la réalité », affirme la professeure. De son côté, le psychologue et médiateur familial François St Père est au contraire bien surpris des résultats de ces enquêtes. « Ce n’est pas un phénomène inexistant, mais c’est quand même rare et assurément pas majoritaire », croit-il.

Avoir plus d’affinités ou de complicité avec un enfant ne signifie pas nécessairement que le parent l’aime davantage, souligne-t-il. On peut être en conflit à un moment ou un autre avec un enfant, avoir un rapport plus difficile pendant un certain temps avec l’un d’eux, « mais je serais extrêmement étonné que la majorité des parents puissent statuer qu’ils ont une préférence, dans le sens qu’ils aiment de façon générale un enfant plus qu’un autre », note-t-il. De la même manière, si on donne plus d’attention à un enfant parce qu’on voit qu’il est en difficulté, « ça ne veut pas dire qu’on le préfère », ajoute le psychologue. 

Mal vu 

Ce qui est sûr, c’est qu’il est très mal vu de parler d’enfant « préféré » ou « chouchou » et surtout, d’en parler publiquement. « C’est pratiquement se faire lapider », lance François St Père. Le blogueur de Vancouver Buzz Bishop, qui anime un blogue familial sur le site Babble, l’a appris à ses dépens, l’an dernier. Père de deux enfants âgés de 6 et 3 ans, il a publié un billet intitulé Avouez-le, vous avez un enfant chouchou. Moi j’en ai un. Il explique avoir un penchant pour son aîné. « Parce que je peux faire plus de choses avec lui. Je m’amuse plus avec lui. » Buzz précise que ce n’est pas qu’il l’aime plus ou qu’il est moins sévère avec le cadet. C’est simplement qu’il a plus de plaisir avec l’aîné. 

Sa sortie publique lui a valu près de 400 commentaires et une pluie de reproches. Quand La Presse l’a contacté, il a poliment répondu qu’il en avait assez dit sur le sujet et ne voulait plus en parler. « C’est difficile pour soi de reconnaître qu’on a un faible pour un de ses enfants, c’est encore plus difficile de l’exprimer publiquement. Lorsqu’on le fait, on est puni socialement », indique François St Père. 

Ne pas tomber dans le piège

Pourtant, en parler et se poser des questions aideraient les parents à mieux gérer leur rapport avec leurs enfants. La psychologue pour enfants Julie Raymond fait du coaching au domicile familial de ses patients. Elle constate qu’effectivement, les parents peuvent naturellement développer un lien plus fort avec l’un de leurs enfants. « Mais ils n’en sont pas toujours conscients », remarque-t-elle. Elle pense qu’ils devraient avoir la maturité de le reconnaître et surtout, de faire attention de ne pas tomber dans le piège de la préférence.

Vous avez un faible pour un de vos enfants ? Pas de panique ! « Il ne faut pas que les parents pensent qu’ils auront toujours plus d’affinité envers un enfant plutôt qu’un autre, rassure Julie Raymond. La complicité d’un enfant avec son parent peut varier à travers les années. Je ne veux pas qu’on s’arrête à l’idée d’un chouchou pour la vie. »

Mais le parent doit aussi y mettre du sien. « Car le danger, c’est que cette alliance reste. Plus on attend, plus c’est difficile de développer de la complicité avec l’autre enfant », prévient-elle. Mieux vaut donc régler cela plus ou moins durant les cinq premières années de l’enfant. 

« Il est tout à fait possible de développer des alliances avec deux, trois, quatre enfants à des moments différents de leur développement », affirme la psychologue. Et les parents ne demandent que cela, constate-t-elle. Car depuis une vingtaine d’années, les mentalités ont changé et les parents sont prêts à faire tous les efforts pour assurer le meilleur développement de leurs enfants.

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